Carte blanche à Delphine Bretesché / Lieux communs
Pascaline Vallée 303 Bistrots
Des tables et leurs chaises, un bar, des verres et bouteilles rangés au mur, des affiches en tout genre, les lignes anguleuse d’un carrelage ou d’un lambris… Les intérieurs des bars et cafés qui passent sous le Rotring 03 de Delphine Bretesché sont saisis dans le détail. Ils ne sont pas croqués en un trait vif et allusif mais, au contraire, mangés des yeux miette par miette par l’artiste.
Si aucun être humain ne vient peupler ces dessins aux lignes fines, la vie y est bien présente, signifiée par les objets. Plus qu’un décor sans personnages, ce qui ne bouge pas dit en creux ceux qui habitent le lieu. Car là où il y a bistrot, il y a vie. Qu’ils soient fonctionnels, banals, surchargés, clinquants ou snobs, les intérieurs ont leur caractère, et chacun reflète à sa manière une partie de notre société.
Sur certains dessins, des paroles, chansons ou bruits entendus sont consignés. Ils ont l’immédiateté du parler bistrot, des paroles lancées. Ils se répondent, parfois s’emmêlent, suscitent dans l’esprit du lecteur des images familières ou surprenantes. On y reconnaît la voix d’un serveur, celles de collègues ou amis buvant une bière ou un café. Leur présence n’est pas systématique. Lorsqu’un espace se dégage sur un mur ou une colonne, l’artiste y note ce qui traverse le lieu à cet instant. Avant de poursuivre le chemin de son trait.
Le fait de délocaliser son atelier, de rencontrer d’autres personnes, est au cœur du travail de Delphine Bretesché, qui est aussi auteure de théâtre et de poésie. La pratique du Journal dessiné est née à Québec en 2017, lors d’une résidence à la Maison de la littérature. Depuis le bureau vitré qu’elle occupe, elle voit passer les lecteurs de la bibliothèque et leurs visages interrogateurs. Elle détache alors des pages de son carnet, y raconte qui elle est, et les affiche sur la vitre. Sous le texte manuscrit, un espace vide se trouve vite rempli par ce qui fait aussi son quotidien : les quelques objets posés sur la table, devant elle.
Depuis, le dessin a pris sa place dans sa pratique. Le Journal dessiné se poursuit au fil des invitations et des envies. Dernière occurrence en date, une résidence de cinq semaines dans cinq foyers différents à Marseille, à l’invitation de l’association La Marelle, en avril-mai 2019. Car, quand elle ne dessine pas les cafés, Delphine Bretesché se nourrit des cuisines - ce n’est pas pour rien que le protocole s’appelle « La rencontre, festin ». « Comme le bistrot, la cuisine est un lieu que l’on arrange, à la fois ordonné et vivant », explique-t-elle. Pratique et convivial, il est un lieu commun, où l’on partage quelques mots, des instants de vie ou un repas.
Quand elle en ressent le besoin, résidence ou non, Delphine Bretesché choisit un nouveau café où s’absorber, « se poser ». Chaque fois, c’est la découverte, et en même temps un processus identique. S’installer, respirer l’atmosphère du lieu, s’imprégner de son agitation. Sortir une feuille de son carnet A4 et la poser soigneusement sur sa pochette. Dessiner. Tête baissée, elle lève les yeux à intervalles régulières. Autour, ça tousse et ça cause, sans qu’elle se déconcentre. L’exercice est aussi pour l’artiste un apaisement, qui lui redonne une bonne dose d’énergie.
Sa posture est paradoxale : se faire oublier, tout en étant témoin attentive, à la fois absorbée et en mouvement continu. Elle prend le temps de l’attention, construit son dessin comme on suit un chemin de randonnée. D’abord au plus près (la table, sa tasse, son portable ou un bracelet…), ses yeux s’avancent pas à pas à travers la salle jusqu’au comptoir, longent sol, murs et plafonds pour revenir enfin, à leur point de départ.
Pascaline Vallée
Johan Faerber grand entretien Diacritik
"Réflexion sur le foyer mais sur aussi la solitude provisoire, Marseille Festin ! est sans doute l’un des textes contemporains parmi les plus accomplis sur l’acte poétique de la résidence d’écrivain : ce qu’elle implique du vivant et de l’écriture. Autant de questions que Diacritik s’est empressé d’aller poser à Delphine Bretesché le temps d’un grand entretien."